Les Français ayant plus de 100.000 euros de patrimoine financier estiment que le contexte politico-économique les désincite à investir et à prendre des risques avec leur épargne. Parmi eux, certaines catégories échappent, pour l’heure, à la morosité. Qui sont ces optimistes ?
Par Marie-Eve Frénay – Les Echos
Stupeur dans le monde « select » de la banque privée. L’édition 2024 de l’Observatoire de Swiss Life Banque Privée réalisé par Opinionway (propriété du Groupe Les Echos – Le Parisien), paru le 14 novembre, témoigne du pessimisme ambiant qui s’est emparé d’une majorité des Français les plus aisés. Pour le chiffrer, l’institut de sondage a questionné début septembre 318 personnes disposant d’un revenu annuel dépassant 72.000 euros et d’un patrimoine financier estimé à plus de 100.000 euros.
Le résultat est sans appel. Depuis les élections européennes, la dissolution de l’Assemblée nationale et les prémices des tensions budgétaires, près des deux tiers de ces riches Français estiment que la conjoncture en France n’est pas propice à l’investissement. Dans les plus hautes sphères patrimoniales, c’est-à-dire parmi les sondés disposant de plus de 500.000 euros investis, la réticence est moins forte mais reste majoritaire. Ils sont près de 6 sur 10 à penser qu’il n’est pas opportun d’investir.
La prudence de mise
Cette peur se manifeste également dans leurs aspirations en matière de supports d’investissement. 88 % de ces sondés aisés se disent ainsi plus prudents que précédemment. Dans ce contexte, ils sont seulement 1 sur 3 à être en recherche de gains rapides et à se dire prêts à prendre plus de risques.
Cette relative frilosité s’est traduite concrètement dans la hiérarchie des placements privilégiés. Ces statistiques s’appuient sur les réponses des 230 clients de banques privées interrogés. Ainsi, dans leur portefeuille financier, les fonds en euros ont connu un réel essor entre 2023 et 2024. Alors que 49 % de cette clientèle investissaient sur ces supports au capital garanti l’an dernier, leur proportion atteint 53 % cette année.
Idem s’agissant des actifs obligataires, à l’indicateur de risque généralement plus faible que les fonds d’actions cotées ou de private equity (a fortiori quand l’investisseur s’oriente sur de l’obligataire « investment grade »). Leur détention progresse de 5 points en un an pour s’établir à 40 % en 2024. Preuve de cet engouement, la part de ces clients déclarant avoir des obligations dans leur patrimoine financier dépasse ceux détenant de l’immobilier (36 %) et de la pierre-papier (24 %).
Investissement de long terme
Dans une conjoncture incertaine, l’envie de sécuriser davantage son épargne motive cet attrait pour les obligations et les fonds en euros (au sous-jacent en grande partie obligataire également). Mais cette stratégie n’est pas totalement dénuée de sens financier, en tout cas pas à court terme, car la hausse de l’inflation et la remontée des taux directeurs ont dopé les rendements obligataires. A l’inverse, l’immobilier a fait les frais de l’augmentation rapide des taux d’intérêt.
Autre enseignement, malgré cette prudence, 81 % de l’ensemble des sondés déclarent que la conjoncture les incite à miser sur le long terme pour générer du rendement. Dans ce contexte, donc, il n’est pas contradictoire que la clientèle de banques privées ait aussi privilégié des placements, peu liquides ou volatils à courte échéance, mais dont la détention s’inscrit dans un temps long. C’est le cas des actions cotées et non cotées en Bourse.
Ainsi, désormais, 64 % des clients de banques privées déclarent avoir des actions, soit 5 points de plus qu’en 2023. « Nouvelles technologies, aéronautique et défense et luxe sont les trois secteurs jugés les plus porteurs par les Français aisés », commente par communiqué Swiss Life Banque Privée. Le private equity tire aussi son épingle du jeu. En 2024, 23 % des sondés aisés affirment en détenir, contre 14 % en 2023. Il faut dire que, ces dernières années, les gérants d’actifs non cotés cherchent à s’ouvrir davantage à la clientèle privée.
Les chefs d'entreprises à contre-courant
Contrastant avec la prudence de la clientèle patrimoniale dans son ensemble, 61 % des chefs d’entreprise aisés ayant répondu au sondage en septembre trouvent que la conjoncture politique est propice à l’investissement. Il sont aussi plus de 6 sur 10 à penser que le moment est également propice aux gains rapides. De plus, près des deux tiers des chefs d’entreprise estiment être plus offensifs dans leurs décisions d’investissement « quitte à prendre plus de risques », disent-ils.
Ce sondage ayant été réalisé entre fin août et mi-septembre, la nomination de Michel Barnier comme Premier ministre, en apparence plus favorable aux affaires, les a probablement rassurés. Il n’est toutefois pas assuré que, si cette enquête avait été réalisée cet automne, l’optimisme aurait été aussi fort. En effet, la tournure des débats budgétaires au Parlement et les menaces en nombre de fermetures d’usines sont habituellement des freins aux intentions d’investissement.