Le gestionnaire de fonds Ladislas Smia décrit, dans une tribune au « Monde », les différentes modalités permettant aux investisseurs de participer à la transition, sans omettre les limites de chacune d’entre elles.
Depuis le début des années 1970, de nombreuses initiatives ont cherché à intégrer des dimensions sociales et environnementales dans les métiers de la finance. Ce mouvement s’est fortement accéléré depuis la COP21 (2015) et le lancement par la Commission européenne du plan d’action sur la finance durable (2018). Mais, malgré la large diffusion du concept, il n’existe toujours pas de consensus sur la manière dont la finance peut contribuer à l’émergence d’une économie plus positive. Plusieurs labels ont vu le jour dans différents pays européens, mais ils présentent des cahiers des charges très différents. Et les derniers textes européens, qui auraient pu servir à mieux structurer le marché, sont si flous que même les spécialistes du secteur peinent à s’y retrouver.
Cette situation a abouti à une forme de confusion généralisée et à des accusations de greenwashing d’un acteur à l’autre. Pour remédier à cette situation, la Commission envisage de remettre à plat tout le système de classification des produits. L’objectif est clair : mieux structurer le marché et donner ainsi la possibilité aux épargnants de mieux intégrer les questions environnementales et sociales dans leurs choix d’investissement. Pour ce faire, la Commission pourrait reconnaître quatre catégories d’investissement responsable.
Première grande famille : les politiques d’exclusion. Il est devenu très courant pour les acteurs financiers d’exclure certains secteurs, comme les armes non conventionnelles (bombes à sous-munitions, mines antipersonnel, armes chimiques), les énergies fossiles non conventionnelles (pétrole et gaz de schiste, forage offshore, arctique), le tabac. Certains vont plus loin en excluant tout investissement dans de nouveaux projets d’énergies fossiles, dans des équipements militaires pouvant être utilisés par des pays non démocratiques ou, de manière plus générale, dans des entreprises ne respectant pas les droits de l’homme. Si l’exclusion est considérée comme le minimum syndical par de nombreux épargnants et ONG, la plupart des acteurs de la finance responsable cherchent à aller plus loin.
Orienter les flux
Deuxième grande famille : le financement d’entreprises ou de projets apportant des solutions à de grands enjeux de développement durable. Sur les sujets environnementaux, on ne compte plus les fonds permettant de financer les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique, la mobilité verte, l’hydrogène ou la préservation du capital naturel. Cette approche a le mérite de la simplicité. Face aux besoins d’investissement colossaux, il est pertinent d’orienter les flux de capitaux vers ces projets. Le principal frein à l’émergence de ces fonds est lié à des considérations financières : ces investissements ne couvrent qu’une partie limitée de l’économie. La théorie financière encourageant à diversifier ses placements pour optimiser les rendements et limiter les risques, ce type d’approche n’est souvent qu’une brique dans une stratégie plus globale d’allocation d’actifs.
Pour répondre à cette problématique, de nombreux fonds d’investissement ont privilégié une troisième approche, cherchant à investir dans tous les secteurs de l’économie, mais en sélectionnant dans chaque secteur les entreprises ayant les meilleures pratiques environnementales et sociales. Cette troisième famille, dite « best in class », permet de maintenir un bon niveau de diversification et, ainsi, de proposer des performances financières comparables à des investissements traditionnels. Si ce type d’approche vise à encourager toutes les entreprises à améliorer leurs impacts, le « best in class » a souvent tendance à se focaliser trop sur de grandes entreprises investissant davantage dans la communication que dans une véritable transformation de leur modèle économique.
Enfin, la quatrième famille s’appuie sur l’idée qu’il est plus efficace d’accompagner les entreprises, même les plus polluantes, dans leur transformation plutôt que de chercher à leur couper les financements. Certains observateurs estiment que cette approche permet surtout à des acteurs financiers peu engagés de ne pas modifier leur façon d’investir. Il n’est toutefois pas incohérent d’espérer que le dialogue avec les entreprises permette d’obtenir certains changements, en particulier quand plusieurs investisseurs joignent leurs forces.
Porte ouverte
Aucune étude académique n’a réussi, à ce jour, à démontrer de manière convaincante qu’une approche serait plus pertinente qu’une autre. Il est certain, en revanche, que ces stratégies répondent à des visions très différentes, que ce soit en matière d’impact environnemental et social ou en matière de ratio risque-rendement.
Plutôt que de chercher quelle est la bonne approche dans l’absolu, il semble plus aisé de demander aux épargnants ce qu’ils souhaitent. Quelques questions simples permettraient de cartographier leurs attentes face à ces quatre grandes familles. Les conseillers en investissement pourront alors mieux orienter les épargnants et leur expliquer les implications des différentes options, en matière d’impact comme en matière financière. On pourra ainsi éviter qu’un épargnant pensant investir dans les énergies renouvelables se retrouve avec des sociétés pétrolières en portefeuille. Et, inversement, on laissera la porte ouverte aux épargnants plus convaincus par les démarches de transformation de continuer à investir dans des entreprises en transition.
Si ce chantier prendra un peu de temps et nécessitera de la pédagogie, il ne semble pas insurmontable. Dans le monde de la finance, on parle d’« obligation fiduciaire », concept qui vise à garantir que les personnes qui gèrent l’argent d’autrui agissent dans l’intérêt des bénéficiaires, et non dans leur propre intérêt. Ce principe de bon sens a souvent été dévoyé pour cantonner la finance à un rôle d’optimisation des rendements à court terme. Les réflexions de la Commission pourraient aboutir à une vision de l’obligation fiduciaire qui s’étendrait enfin aux enjeux environnementaux et sociaux. Souhaitons donc une pleine réussite à ce nouveau chantier.
Par Ladislas Smia est responsable du développement durable du fonds d’investissement MBO +, Le Monde.