Historiquement, le private equity est réservé à des investisseurs institutionnels ou fortunés. Les récentes législations dont la loi industrie verte en 2024 a permis d’ouvrir cette classe d’actifs aux investisseurs disposant de moyens plus modestes.
Par Sandra Bouillard – Les Echos – Publié le 22/07/2024
Un nouveau chapitre s’ouvre pour le capital-investissement. La classe d’actifs autrefois élitiste, réservée aux investisseurs fortunés, se démocratise et devient accessible aux épargnants lambda, souscripteurs d’assurances-vie et de plans d’épargne retraite (PER).
A partir du 24 octobre 2024, l’entrée en vigueur de la loi industrie verte mettra en place une nouvelle norme de la gestion profilée pilotée (GPP) pour les assurances-vie. Les contraintes d’allocation pour différents profils (prudent, équilibré ou dynamique) imposent une part minimum de private equity au sein des portefeuilles, excepté pour les clients les plus timorés.
Selon une étude* réalisée par OpinionWay pour la plateforme d’investissement Ramify, 45 % des sondés seraient susceptibles de souscrire à des produits de private equity dans les prochains mois, un chiffre en hausse de deux points par rapport au baromètre précédent. Parmi les volontaires, les jeunes de moins de 35 ans sont surreprésentés : 65 % se disent prêts à investir dans le capital investissement. C’est aussi la population la plus à même de demander des gestions plus risquées, de type « dynamique » en assurance-vie ou en PER.
« Depuis un an et demi, on ressent un véritable engouement des particuliers pour le private equity », souligne Jean-David Haas, cofondateur de NextStage AM, société ayant créé le premier fonds disponible en unité de compte (UC) en France. Mais il ne s’agit pas encore d’un raz de marée : « c’est un marché où l’offre crée de la demande. Les petits épargnants ne se battent pas encore pour investir en capital investissement ».
Conversion à marche forcée
La législation a son rôle à jouer : la loi industrie verte devrait permettre de multiplier par neuf l’investissement en UC dans cette classe d’actifs (d’environ 600 millions en 2023 à 5,7 milliards en 2034, selon les estimations de Fact & Figures). Paul Moreno-Blosseville, président d’Opale Capital, reste néanmoins prudent sur les effets escomptés car il considère que la majorité des flux de capitaux seront alimentés par les institutionnels plutôt que les particuliers.
La plupart des épargnants, bien que désireux de diversifier leur épargne pour 65 % des sondés, restent soucieux de certains inconvénients de cette classe d’actifs . La première inquiétude, pour 83 % des personnes interrogées, est la complexité des sous-jacents. Le capital investissement se positionne en effet sur plusieurs secteurs (infrastructure, santé, tech…), plusieurs zones géographiques et plusieurs stratégies, en fonction de la maturité des entreprises présentes au sein du fonds.
Autre difficulté : le manque de recul sur ces produits pour 76 % des sondés. Les fonds disponibles pour les particuliers sont commercialisés depuis moins de 5 ans, ce qui ne permet pas encore d’avoir de données suffisantes pour connaître les performances sur le long terme. Une autre raison de ne pas pousser les profils les plus prudents à investir dans cette catégorie d’actifs.
L’illiquidité est un problème pour 68 % des sondés. Les fonds de private equity peuvent prendre deux formes : fermés, il s’agit du format le plus classique, avec une période de collecte de quelques mois, et des capitaux bloqués sur 5 à 10 ans, jusqu’à la revente des actifs. Ils ont le désavantage d’être illiquides, mais proposent de meilleures performances.
Ouverts, les fonds « evergreen » permettent, en ayant un flux permanent de cash des cessions de parts, des dividendes distribués et des remboursements de prêt (en cas d’existence de dette privée), d’être plus liquides. Si ces véhicules à capital permanent ne représentent que 16 fonds disponibles aux particuliers sur le marché, ils drainent 57 % des encours des UC de private Equity.
Olivier Herbout, cofondateur de Ramify ayant commandité l’étude, est optimiste sur le développement de cette offre. « Même si la perception n’a pas encore changé, certains freins à l’investissement ne sont aujourd’hui plus d’actualité ». Le ticket minimum s’est également déprécié sur certains produits. Des fonds comme NextStage Croissance ou Isatis Capital Vie & Retraite, distribués chez plus d’une dizaine d’assureurs, sont désormais accessibles dès un millier d’euros, là où la plupart des fonds s’ouvraient à partir de 100.000 euros investis.
Accessibles et liquides
Devenu moins élitiste, ce type d’actifs permet-il de répondre aux demandes des particuliers ? Ils se disent soucieux d’investir dans l’économie réelle (41 %), de diversifier leur rendement, mais aussi d’améliorer les performances de leur épargne. L’objectif de diversification n’est pas toujours accompli par certains produits. Nombre d’entre eux sont constitués en grande partie (30 à 50 %) d’actions cotées pour permettre la liquidité. Un réel frein à la diversification de l’épargne.
Quand aux performances, elles sont à relativiser. Si la classe d’actif dans son ensemble fait mieux que le marché action sur une longue durée, en permettant « un rendement net moyen de 12 à 15 % annuel », constate Estelle Dolla, présidente de Private Corner, cela ne s’applique pas au private equity à destination de l’épargnant lambda.
« Les rendements constatés sont de 6 à 9 % nets par an sur des fonds ouverts à de plus petits tickets. Quand aux fonds « evergreen », ils enregistrent un gain moyen de 6 % net par an. Quand on sait qu’il y a un risque de perte en capital plus élevé que d’autres placements, le jeu n’en vaut pas la chandelle », tance-t-elle.
Selon elle, « la liquidité nécessite forcément d’éteindre certains moteurs de performance ». Impossible donc « d’atteindre les TRI (taux de rentabilité interne) que l’on observe habituellement en capital investissement » avec un fonds liquide disponible en UC.
Frais supplémentaires pour les particuliers
Face à un fonds actions, le private equity semble peu compétitif en termes de performances pures. Sans compter la surcouche de frais liés à cette classe d’actifs.
En moyenne, les frais appliqués sur ces fonds en unité de compte s’élèvent à 2,6 %. Des coûts similaires à ceux proposés par les sociétés civiles de placement immobilier (SCPI), mais très éloignés d’autres placements en SICAV, avec des frais moyens observés de 1,86 %. Sans commune mesure avec les frais des ETF, de 0,28 %. C’est ce qui explique en partie les performances aussi faibles du private equity disponible en UC.
Pour faire baisser les frais et augmenter les performances, la seule solution reste d’investir en direct, avec un ticket minimum situé à 100.000 euros dans la plupart des cas. Autre avantage de la souscription au numéraire : certains fonds, s’ils financent des entreprises françaises, permettent de bénéficier des avantages fiscaux de l’IR PME et de ses variantes. Une réduction d’impôt entre 18 et 50 % du montant investi dans la limite de 10.000 euros par an.
*Echantillon de 500 épargnants détenteurs d’un patrimoine financier de 30 000 euros et plus, issu d’un échantillon de 1405 personnes représentatif de la population française âgée de 18 ans et plus. L’échantillon a été constitué selon la méthode des quotas, au regard des critères de sexe, d’âge, de catégorie socioprofessionnelle et de région de résidence.