La Banque centrale européenne a réduit ses taux directeurs d’un quart de point. Il s’agit du premier assouplissement de sa politique monétaire depuis 2019. Le taux de dépôt va passer d’un niveau record de 4 % à 3,75 %.
Par Sophie Rolland – Publié le 06/06/2024 – Les Echos
D-Day pour la Banque centrale européenne. Ce 6 juin, le Conseil des gouverneurs de la BCE a, pour la première fois en cinq ans, décidé de baisser les taux directeurs de la zone euro. Perchés depuis 9 mois à 4 %, 4,50 % et 4,75 %, le taux de dépôt, le « refi » et le taux de la facilité de prêt marginal de la BCE redescendront bientôt à 3,75 %, 4,25 % et 4,50 %. « Il est aujourd’hui opportun de réduire le caractère restrictif de la politique monétaire », indique l’institution dans son communiqué.
Une page se tourne, celle du resserrement monétaire le plus drastique et le plus rapide de l’histoire de la zone euro. En un peu plus d’un an, entre juillet 2022 et septembre 2023, la BCE avait serré la vis 10 fois, faisant passer son taux de dépôt de -0,5 % à 4 %.
Cette première baisse de taux avait été largement pré-annoncée, y compris par les gouverneurs les plus orthodoxes de l’institution comme le Président de la Bundesbank Joachim Nagel , ou la membre du directoire Isabel Schnabel. Christine Lagarde, elle-même, affiche une rare confiance depuis quelque temps. L’inflation est désormais « sous contrôle », avait affirmé la présidente de la BCE le mois dernier.
Révision à la hausse des prévisions d'inflation
Au risque de donner l’impression de se lier les mains. Certains spécialistes de la politique monétaire s’étonnent ainsi que cette baisse des taux coïncide avec une révision à la hausse des prévisions d’inflation. Les experts de la BCE voient désormais l’inflation atteindre 2,5 % en 2024, 2,2 % en 2025 et 1,9 % en 2026. En mars dernier, ils tablaient sur une décrue plus rapide : 2,3 % en 2024, puis 2 % en 2025 et 1,9 % en 2026.
En réalité, comme le remarque Carsten Brzeski chez ING, « cette baisse de taux montre que la BCE a repris confiance dans sa capacité à prévoir l’évolution de l’inflation : ses projections pour la deuxième partie de 2025 lui suffisent à justifier sa décision ». Un retour à la normale bienvenu. Tout au long de l’année 2022, les équipes de la BCE étaient systématiquement en retard sur le cycle d’inflation. Elles devaient régulièrement réviser leurs prévisions, « dans des proportions substantielles de l’ordre d’un à deux points de pourcentage, alors que les révisions dépassent rarement quelques dixièmes en temps normal », soulignent les économistes d’Oddo BHF.
Lors de sa conférence de presse, Christine Lagarde a rappelé le chemin parcouru. D’octobre 2022 à septembre 2023, autrement dit pendant la phase de resserrement, l’inflation a été divisée par deux, de 10,6 % à 5,2 %. De septembre 2023 à aujourd’hui, pendant la phase de maintien des taux à leur plus haut niveau, elle a, à nouveau, diminué de moitié.
Chemin cahoteux
La principale question pour les marchés est désormais de savoir à quel rythme les baisses de taux vont se poursuivre. Tout en se montrant confiante sur la désinflation en cours, Christine Lagarde s’est bien gardée de s’engager sur un quelconque rythme, un calendrier ou un point d’arrivée. « Nous aurons besoin de données pour confirmer que nous sommes bien sur le chemin de la désinflation », a-t-elle martelé, tout en prévenant que ce dernier serait probablement cahoteux.
La plupart des économistes s’attendent à deux réductions de taux supplémentaires cette année, à l’occasion des réunions de septembre et de décembre. Sur les marchés, les anticipations de baisses de taux s’étaient déjà considérablement réduites ces dernières semaines. Les annonces de la BCE ont fait remonter les rendements obligataires de la zone euro.
Le scénario des économistes serait cohérent avec l’approche prudente défendue dernièrement par Philip Lane . Pour l’économiste en chef de la BCE, la décrue de l’inflation autorise à « supprimer le niveau le plus élevé de restriction monétaire ». De quoi poursuivre les baisses de taux. Car si l’on tient compte du niveau de l’inflation, la politique monétaire de la BCE est plus restrictive (de nature à freiner l’activité) aujourd’hui après cette première baisse des taux, qu’en septembre 2023.