Les conseillers en gestion de patrimoine et banquiers privés sont très sollicités par leurs clients inquiets. La remise en cause des politiques fiscales soulève de nombreuses questions.
Par Sandra Bouillard – Les Echos – Publié le 18/04/2024
« La première question que les clients nous posent, c’est de savoir s’ils sont concernés » par les mesures des différents programmes. Benoist Lombard, président de Maison Laplace, société de gestion de patrimoine et family office, confie que l’instabilité politique « interroge » nombre de ses clients. Depuis la dissolution de l’Assemblée nationale le soir du dimanche 9 juin, l’inquiétude gagne les épargnants. En pleine incertitude sur l’issue des prochaines législatives, est-il urgent d’attendre les résultats pour réallouer ses actifs ?
« Il ne faut pas céder à la panique. La question est la même qu’auparavant : comment s’inscrit la stratégie de gestion de mon patrimoine, indépendamment des crises financières et institutionnelles ? » rappelle le dirigeant. En fonction des situations, les programmes économiques et notamment fiscaux n’auront, bien sûr, pas les mêmes répercussions sur les épargnants.
« Quelle que soit sa situation, c’est le moment de revoir son conseiller », conseille Meyer Azogui, président de Cyrus Conseil. Si « les clients sont inquiets, il y a peu de surréactions, pas de mouvement de panique ». Les interrogations des épargnants les plus préoccupés concernent avant tout « la réaction des marchés et les effets directs sur les placements, les différents scénarios en termes de fiscalité et la nécessité ou non d’ouvrir des comptes à l’étranger », énumère-t-il.
Patrimoine placé à l'étranger
Sur ce dernier point, le régime de l’assurance-vie luxembourgeoise éveille la curiosité. « Il n’y a aucun avantage fiscal à détenir cette enveloppe, mais certains craignent une imposition sur l’épargne, il s’agit plutôt d’une mesure psychologique dans la plupart des cas », explique Meyer Azogui. « Parfois il s’agit d’un premier pas vers une expatriation , certains clients, pour des raisons idéologiques plus qu’économiques, déclarent que s’il y avait un parti extrémiste au pouvoir, ce serait le début d’une dictature. Ils partiraient. »
Ces questions, bien avant la dissolution, étaient « dans l’air du temps », et les professionnels s’y « préparaient, dans l’attente des futures élections présidentielles ». Sans être affolés, les clients s’interrogent sur la temporalité de certains actes patrimoniaux, comme les donations ou la distribution de dividendes. Face aux incertitudes, mieux vaut « finaliser au plus vite ce qui était déjà dans les tuyaux », conseille Eric Birotheau, directeur de l’ingénierie patrimoniale pour la banque Richelieu.
La possible disparition de la « flat tax », avantageuse pour les plus hauts revenus, fait également partie des parts d’ombre des futures politiques fiscales. Le spectre d’une « petite rétroactivité fiscale » alimente les questions sur les projets de revente d’un bien immobilier, par exemple.
Un autre tourment remonté aux oreilles des banquiers privés et conseillers en gestion de patrimoine est sans conteste le retour de l’ISF. « Certains s’interrogent déjà sur la possibilité de faire des donations d’usufruit à leurs héritiers pour diminuer la base taxable », rapporte la banque Richelieu.
Les questions pratiques émergent déjà sur le plafond de cet impôt sur la fortune, ou de son homologue l’IFF, impôt sur la fortune financière, voulu par l’extrême droite. Eric Birotheau rappelle que « le Conseil constitutionnel avait, lorsque l’ISF était en vigueur, limité l’impôt à 75 % des revenus, afin d’éviter que ce prélèvement ne soit confiscatoire ».
Tous les épargnants inquiets ne sont pas concernés par ces mesures. Les banquiers et CGP interrogés confirment que l’inquiétude se diffuse sur tous les segments de leur clientèle. Elle peut être même plus prégnante pour les plus modestes, soucieux de conserver une certaine liquidité. « Certains craignent même un blocage des établissements bancaires, dans un scénario noir d’une irresponsabilité économique couplée à des mouvements sociaux », rapporte Guillaume Eyssette, directeur associé de Gefinéo. Ces questions ne mènent pas à des actions réalisées dans la panique, mais déjà certains clients, « dans le brouillard, commencent à anticiper des changements d’allocation, et se redirigent vers des actifs financiers internationaux ».